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Nos anciens articles (décembre 2014) – Droit des nouvelles technologies: un droit en plein essor… mais au contenu imprécis ?

Droit des nouvelles technologies
@ Alain Wacquier – Fotolia.com
La question m’ayant été adressée à plusieurs reprises ces derniers temps, un billet semble utile pour décrire et tenter de circonscrire la notion de « droit des nouvelles technologies ». Est-ce une (nouvelle ?) matière en soi ? Que recouvre le terme ? Quels sont les domaines du droit concernés ? Petite synthèse…

[N’hésitez pas à me faire part de vos commentaires : le contenu de ce billet est destiné à être enrichi au cours du temps, en fonction notamment des remarques et observations que vous pourrez formuler]

Une précision tout d’abord : le « droit des nouvelles technologies », si la matière a acquis petit à petit ses lettres de noblesse, est une notion relativement récente, surtout par rapport à d’autres domaines juridiques (droit civil, droit administratif, etc.). Elle est apparue avec l’essor de l’informatique, notamment dans le domaine contractuel (contrat de mise à disposition de temps machine, de cession de matériel informatique, d’infogérance ou « facilities management » , etc.), si bien qu’on a pu parler à l’époque de « droit de l’informatique ». Historiquement très liée également avec la propriété intellectuelle (contrat de licences, etc.), elle n’a toutefois obtenu une véritable reconnaissance législative que plus récemment, avec l’adoption le 21 juin 2004 de la Loi pour la Confiance dans l’Economique Numérique  (LCEN), tout à la fois texte de référence existant en tant que tel et, dans le même temps, « infusant » des règles spécifiques à la matière dans nombre de Codes existants (Code civil, Code de la consommation, etc.).

Un droit protéiforme ?

Nous partons toutefois ici d’un présupposé, c’est que le « droit des nouvelles technologies » est une matière existante et reconnue. Pour certains (de moins en moins nombreux), la question reste toutefois posée : ce droit existe-t-il en lui-même ?

Une réponse précise, documentée et argumentée mériterait sans doute d’y consacrer un article bien plus volumineux, mais de façon synthétique, quelques éléments majeurs peuvent être mis en avant :

– on peut s’intéresser au débat théorique, mais en pratique, on peut surtout constater

  • depuis plus de vingt ans, une demande croissante dans le monde professionnel de juristes spécialisés dans cette branche du droit, à même de répondre aux situations auxquels ils sont confrontés ;
  • en réponse à cette demande, plusieurs formations de type « Master 2 » spécialisées dans le domaine ont vu le jour, surtout depuis les années 2000 ;
  • en parallèle, une doctrine est développée en tant que telle, avec des chroniques, des revues ou des ouvrages spécifiques au sujet (Communication, Commerce Electronique des ed. LexisNexis, Expertises des systèmes d’informations ed. Celog Editions, la Revue Lamy Droit de l’Immatériel, etc.).

– quand on s’intéresse aux domaines concernés aussi bien par ces offres d’emplois que par ces masters ou ces articles de doctrine, on s’aperçoit tout de suite, à l’énoncé même des postes, des articles et des formations, que le « droit des nouvelles technologies » se présente sous diverses formes. On retrouve ainsi – sans forcément que l’on soit certains, à la première lecture, des distinctions exactes du contenu traité – les termes de « droit de l’informatique » (pour les plus anciens, cf. ci-dessus), de « droit du numérique » ou « des activités numériques » (pour les plus récents), de droit des « nouvelles techniques » (pour ceux qui veulent se démarquer), de « droit de l’espace », des « communications électroniques », de « l’internet », des « réseaux », du « commerce électronique », créations numériques, etc.

– en réalité « le » droit des nouvelles technologies est protéiforme par nature, rassemblant nombre de sujets qui peuvent sembler épars et dont il est parfois difficile de donner une vision structurée et cohérente, y compris aux étudiants des formations susmentionnées.

Vers une définition du droit des nouvelles technologies ?

Cet aspect kaléidoscopique, qui rend difficile d’en détailler son contenu de façon précise, est sans doute lié en réalité à la définition même que l’on pourrait donner du droit des nouvelles technologies.

En effet, de façon générale, les matières juridiques se définissent par les personnes ou les choses auxquelles elles s’appliquent.

Ainsi :

  • Le droit international privé est constitué par « l’ensemble des principes, des usages ou des conventions qui gouvernent les relations juridiques établies entre des personnes régies par des législations d’États différents » ;
  • Au sens large, le droit administratif correspond à « l’ensemble des règles du droit privé et du droit public qui s’appliquent à l’Administration dans sa gestion des services publics, et dans ses rapports avec les particuliers » ;
  • Le droit commercial (appelé également « droit des affaires » ou encore « droit économique ») est « l’ensemble des règles juridiques applicables aux commerçants dans l’exercice de leur activité professionnelle et régissant aussi, quoique de manière plus exceptionnelle, l’activité commerciale, voire les actes de commerce accomplis par toute personne » ;
  • Plus spécifiquement, le droit cambiaire est « l’ensemble des règles applicables aux effets de commerce, propres à ceux-ci et qui se distinguent des règles du droit commun des obligations » ;
  • Le droit civil désigne « l’ensemble des règles de droit normalement applicables dans les rapports des personnes privées entre elles » ;
  • le droit d’auteur est « la prérogative attribuée à l’auteur d’une oeuvre de l’esprit » ;
  • le droit de la consommation est le droit « régissant les rapports des consommateurs avec les professionnels » ;
  • etc.

[Ces définitions sont tirées du Lexique des Termes juridiques 2014/2015, 22eme ed., Dalloz]

Et c’est justement ce qui explique la difficulté de déterminer avec précision du champ du droit des nouvelles technologies : on pourrait tenter de le résumer dans le fait que ce droit s’applique aux biens (et personnes) issus ou « modifiés » via les « nouvelles » technologies. On pourrait également le définir – plus globalement – comme l’ensemble des règles de droit applicables aux activités mettant en oeuvre une ou plusieurs « nouvelles » technologies.

Et que regroupe-t-on dans ces expressions de « nouvelles » technologies ou encore de nouvelles techniques ? Au début l’informatique (contrats informatiques, protection des systèmes d’information), puis ce que l’on a appelé les NTIC (d’où l’appellation de « droit des NTIC »), c’est-à-dire les nouvelles technologies de l’informatique et de la communication (réseaux informatiques, dématérialisation, etc.). Et maintenant, les hautes technologies dites encore technologies de pointe telles que les technologies de l’information, mais aussi, et de plus en plus :

  • la robotique ;
  • les biotechnologies  ;
  • l’aérospatiale ;
  • les nanotechnologies ;

Encore faut-il ajouter, pour des raisons historiques, deux matières fondamentales souvent accolées ou intrinsèquement liées au droit des NTIC :

  • la propriété intellectuelle. Historiquement, le droit des NTIC a longtemps été considéré par certains comme étant né au sein de la propriété intellectuelle, du droit d’auteur et des brevets. Ainsi, le Conseil National des Barreaux, quand il s’est agi de tracer les grandes spécialités qui pouvaient être reconnues aux avocats, a reconnu l’existence de la spécialisation en « droit des nouvelles technologies, de l’informatique et de la communication » dans un rapport adopté les 12 et 13 mars 2010 dont les propositions ont été intégrées à l’article 2 de la loi n°2011-331 du 28 mars 2011. Mais il a surtout avalisé le fait que les avocats déjà titulaires de la spécialisation en droit de la propriété intellectuelle devenaient automatiquement titulaires de la spécialisation en droit des nouvelles technologies, marquant par là une grande proximité des deux matières (déjà mentionnée plus haut) ;
  • la protection des données à caractère personnel. Il est vraie issue dès 1978 de la loi « Informatique, Fichier et Libertés » – termes qui expliquent sa très grande proximité avec le droit des nouvelles technologies – les problématiques qu’aborde cette réglementation encore très formaliste (même si elle est en mue rapide) s’intègrent très facilement dans l’étude plus large des problématiques de libertés publiques.

Ce patchwork explique ainsi pourquoi, à la différence d’autres matières juridiques, « le » droit des nouvelles technologies n’a pas (encore ?) vu les multiples textes qui le composent rassemblés en un Code unique, comme peuvent exister le Code de la consommation, le Code monétaire et Financier ou encore le Code du travail.

Où l’on reparle de transformation numérique

En réalité, « le » droit des nouvelles technologies » est confronté à la question fondamentale de transformation numérique de notre société.

Pouvait-on déjà et peut-on encore parler de branche de droit unifié alors même que la nature du « droit des nouvelles technologies » est d’encadrer l’évolution de notre société vers le tout numérique ? Alors même que toutes les branches juridiques existantes (droit du travail, droit commercial, droit de la consommation, etc.) se voient peu à peu transformées par le numérique, la dématérialisation, Internet, etc. ?

Alors qu’il y a encore quelques années, le « droit des nouvelles technologies » consistait en pratique dans le regroupement de quelques textes phares (loi « informatique et libertés » susmentionnée, loi Godfrain du 5 janvier 1988 relative à la fraude informatique, loi sur la signature électronique du 13 mars 2000, loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004, Code des postes et communications électroniques), force est de constater qu’aujourd’hui, non seulement ces textes spécifiques se sont vus fortement renforcer (par des règlements européens notamment[1]), mais qu’en plus le numérique a irradié dans toutes les branches du droit. Que ce soit en droit civil, en droit administratif, en droit pénal, en droit du commerce, en droit du travail ou encore en droit monétaire et financier, on retrouve à chaque fois des dispositions spécifiques dont l’adoption a été rendue nécessaire par l’irruption de nouvelles techniques.

Vers l’infini et au-delà ?

Certes, pour la plupart, ces nouveaux principes ne sont pas révolutionnaires et s’appuient sur les grands principes issus du droit romain. Mais ils intègrent néanmoins les spécificités liées à la dématérialisation et au numérique : documents électroniques pour le droit civil, échanges électroniques avec l’administration ou encore procédures de passation des appels d’offres électroniques pour le droit administratif, infractions spécifiques en droit pénal, votes aux assemblées générales d’actionnaires ou encore Kbis dématérialisé pour le droit commercial, télétravail et utilisation des moyens de communication électronique pour le droit du travail, commercialisation de produits ou services financiers à distance, crowfunding ou encore trading haute fréquence pour le droit monétaire et financier, etc.

On assiste ainsi ces dernières années aux fruits de cette évolution logique : chaque branche du droit baignant dorénavant dans le numérique, le juriste en droit des nouvelles technologies voit ses compétences s’élargir, alors que dans le même temps sa connaissance des technologies émergentes doit tous les jours se développer. De façon parfaitement similaire à ce qu’induit la transformation numérique, la nécessité de travailler en équipe avec les spécialistes de chacune des branches du droit « classiques » se fait chaque jour plus pressante. Enfin, des matières juridiques hier naissantes se développent et prennent peu à peu leur indépendance au nom de leur forte spécificité.

Et demain, qu’en sera-t-il ? Le droit des nouvelles technologies deviendra-t-il l’égal, en termes d’importance, du droit civil ou du droit administratif ? Sera-t-il au contraire digéré par ceux-ci, ne laissant comme héritiers que des sous-branches plus spécifiques (droit des drones, droit des cyborgs, etc.) ? Une chose est sûre : au vu de l’inflation législative dans ces domaines, tant au niveau de l’Union européenne que de la France, son avenir est encore en train de s’écrire…

 

François Coupez

Avocat à la Cour, Associé-Gérant du Cabinet ATIPIC Avocat

Titulaire du certificat de spécialisation en droit des nouvelles technologies, de l’informatique et de la communication

Chargé d’enseignement à l’Université Paris II Panthéon-Assas et au CELSA

 

[1] Proposition de règlement sur la protection des données à caractère personnel relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données (règlement général sur la protection des données) du 25 janvier 2012 ; Règlement (UE) sur l’Identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur (règlement eIDAS) n°910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 ; proposition de directive concernant les services de paiement dans le marché intérieur, modifiant les directives 2002/65/CE, 2013/36/UE et 2009/110/ CE et abrogeant la directive 2007/64/CE du 24 juillet 2013 (proposition de directive « DSP 2 ») ; directive 2013/40/UE relative aux attaques contre les systèmes d’information du 12 août 2013 (directive directive « Cybercrime » ), proposition de directive concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé commun de sécurité des réseaux et de l’information dans l’Union (proposition de directive « NIS »), etc.