Dématérialisation

L’acte authentique électronique fait sa révolution pour ses vingt ans ! (Article rédigé en avril 2020)

À l’occasion de la publication ces derniers jours [fin mars 2020] de textes juridiques d’exception du fait de la crise sanitaire sans précédent que nous traversons, de multiples domaines du droit sont fortement concernés. Or, cet impact s’opère aussi bien par les 25 premières ordonnances du 25 mars 2020 que par des textes parfois moins médiatisés. Là encore, des opportunités se dessinent, voire de véritables révolutions juridiques s’articulent. Celles-ci, longtemps ralenties ou entravées par des considérations pratiques, doctrinales ou économiques, s’imposent aujourd’hui devant les nécessités impérieuses causées par la situation actuelle.

Ainsi en est-il concernant l’acte authentique (ou « notarié ») établi et conservé sous forme électronique[1]

Une révolution pour les 20 ans de l’e-acte authentique ?

Rendu théoriquement possible par la loi du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique (cf. article 1369 du Code civil) et transposant la directive du 13 décembre 1999 sur le même sujet, il a fallu attendre le décret n° 2005-973 du 10 août 2005 pour que le décret – auquel le texte de loi renvoie – décrive par le menu les exigences nécessaires à sa réalisation de l’acte authentique sous forme électronique.

Le notaire qui établit un tel acte sur support électronique utilise un système de traitement et de transmission de l’information agréé par le Conseil supérieur du notariat et garantissant l’intégrité et la confidentialité du contenu de l’acte. L’acte quant à lui devait être signé par le notaire au moyen d’un procédé de signature électronique sécurisée conforme aux exigences de l’ancien décret n° 2001-272 du 30 mars 2001, c’est-à-dire créée à l’aide d’un dispositif de création de signature électronique qualifié, et qui repose sur un certificat qualifié de signature électronique.

S’il a fallu attendre encore trois ans pour la signature du premier acte dématérialisé du fait de l’importante infrastructure technique à mettre en oeuvre, le développement a depuis été très rapide : cet instrument est aujourd’hui utilisé par une très large part des offices de notaire.

Le décret de 2005 prévoyait par contre une limitation stricte :  l’acte notarié n’était possible que si les parties ou personnes concourant à l’acte étaient présentes ou représentées et qu’en particulier toute personne concourant à un acte devait nécessairement comparaître devant un autre notaire (art. 20 du 10 août 2005).

C’est à ce titre qu’il convient de tout particulièrement porter attention au décret n°2020-395 du 3 avril 2020.  

Une révolution signée… Covid 19 !

Ce décret, préparé par la Chancellerie, revu par le Conseil d’État et paru dans le Journal officiel du 4 avril dernier, autorise en effet ce qui avait toujours été interdit par le passé : le (véritable) acte notarié sans présence physique, dit « par comparution à distance ».

Ce texte brise donc un véritable tabou pour permettre les actes de vente immobilière en période de confinement, au point mort depuis deux semaines : son article 1er prévoit ainsi que, dès à présent et jusqu’à un mois après la fin de l’état d’urgence sanitaire, le « notaire instrumentaire peut, par dérogation aux dispositions de l’article 20 du décret du 26 novembre 1971 susvisé, établir un acte notarié sur support électronique lorsqu’une ou toutes les parties ou toute autre personne concourant à l’acte ne sont ni présentes ni représentées ».

Si, dans un communiqué de presse datant du jour de la publication du décret au journal officiel, le Conseil Supérieur du Notariat (CSN) se félicitait de ce texte « équilibré et pragmatique », c’est en raison de la focalisation du texte sur la communication du notaire instrumentaire avec chaque partie.

Cette communication doit permettre d’éclairer le consentement ou la déclaration de chaque partie ou personne concourant à l’acte et de fonder, selon le CSN, l’authenticité du document. Ainsi, le notaire instrumentaire qui souhaite pouvoir établir un tel acte doit nécessairement utiliser avec les personnes concourant à l’acte « un système de communication et de transmission de l’information garantissant l’identification des parties, l’intégrité et la confidentialité du contenu et agréé par le Conseil supérieur du notariat. ». 

En parallèle du consentement ou de la déclaration de chaque partie, la signature électronique de chaque partie ou personne concourant à l’acte doit être réalisée via un procédé de « signature électronique qualifié » au sens du décret du 28 septembre 2017 tel qu’il résulte de l’adaptation en droit français du règlement eIDAS du 23 juillet 2014.

Rappelons que ce règlement européen, qui s’applique à l’identification électronique, aux services de confiance et aux documents électroniques, s’inscrit dans la continuité des procédés prévus par la directive du 13 décembre 1999 précitée en matière de niveau de sécurisation de la signature électrique. En pratique, rien de neuf sous le soleil : le procédé de signature électronique qualifié décrit dans le règlement eIDAS répond à la même définition que l’ancienne « signature électronique avancée créée à l’aide d’un dispositif de création de signature électronique qualifié, et qui repose sur un certificat qualifié de signature électronique » issue de la directive de 1999.

Une révolution… à obsolescence programmée ?

En pratique, ce sont donc des systèmes de vidéoconférence permettant la sécurisation imposée par le décret, couplés aux signatures électroniques qualifiées des notaires, qui permettront la signature sans regroupement physique des participants. Les clients des notaires qui le souhaitent, confinés chez eux, qui ne peuvent dès lors physiquement se rapprocher de son notaire à l’heure actuelle, voient ainsi un moyen de voir se dénouer leurs dossiers bloqués en raison de la situation sanitaire, par exemple en cas d’acquisition immobilière, mais également pour en matière de droit de la famille (transmissions patrimoniales, etc.).

Salué comme « un moment important qui va faciliter les modes d’exercices du notariat dans le contexte actuel » par le communiqué de presse susmentionné, ce texte impose aussi une entraide entre études et des efforts d’investissement : si 40% seulement des études notariales seraient pour le moment équipées de tels systèmes de visioconférence, le CSN incite fortement les notaires équipés à ouvrir leurs études à leurs confrères qui ne le seraient pas encore afin d’augmenter fortement l’efficacité du dispositif.

Pourtant, ce texte est spécifiquement prévu comme doté d’une durée d’obsolescence programmée liée à la crise sanitaire.

Une révolution s’inscrivant finalement dans la durée ?

Qu’en sera-t-il, une fois passée cette période et le mois supplémentaire prévu ? Sera-t-il mis fin à l’expérimentation ? Dans ce cas, comment l’expliquer aux clients ayant goûté à la pratique ? Leur expliquera-t-on que les moyens utilisés hier, parfaitement fiables, car « garantissant l’identification des parties, l’intégrité et la confidentialité du contenu et agréé par le Conseil supérieur du notariat » ne le sont finalement pas tant que cela et doivent être abandonnés sitôt la crise passée ?

Permettons-nous d’en douter…


Me François Coupez

Avocat à la Cour, Fondateur
Chargé d’enseignements (Paris II Panthéon-Assas, Paris Dauphine-PSL)
Certifié :
– Spécialiste en Droit des nouvelles technologies (CNB) 
– DPO (CNIL – AFNOR, APAVE)
– ISO 27001 Lead implementer – niveau avancé (LSTI)


Crédits photo : Adobe Stock

[1] L’auteur remercie Me Arthur Schwindenhammer, notaire, pour sa précieuse relecture.